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Dans les coulisses du rapport sur l’eau

Par Marie-France Létourneau, collaboration spéciale

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L’eau a un grand pouvoir de mobilisation au ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP). Tellement que plus d’une centaine de personnes a collaboré à la plus récente édition du Rapport sur l’état des ressources en eau et des écosystèmes aquatiques du Québec. Regard sur la production de ce document choral, diffusé en juin dernier.

Publié tous les cinq ans à l’intention notamment des décideurs et des acteurs québécois de l’eau, le rapport a pratiquement des allures de « bible de l’eau », illustre le chargé de projet, Charles Mercier, qui a supervisé le bon déroulement du projet. Il a été secondé dans cette tâche par Emma Couture, responsable de la rédaction et de l’accompagnement des collaborateurs.    Le duo a travaillé en étroite collaboration avec les techniciens, scientifiques, biologistes et autres spécialistes d’une dizaine de directions du MELCCFP. Chacun, dans son champ d’expertise, a apporté de l’eau au moulin.   Le rapport, explique Charles Mercier, vise à brosser un portrait clair et actuel des ressources en eau et des écosystèmes aquatiques du Québec : état, tendances, pressions subies, possibles effets des changements climatiques. Inscrit dans la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et favorisant une meilleure gouvernance de l’eau et des milieux associés, le Rapport est produit tous les cinq ans depuis 2014. Cet exercice permet de suivre la situation au fil du temps à partir des données et connaissances relatives à plusieurs indicateurs. Ceux-ci donnent des informations sur la qualité de l’eau ainsi que sur la biodiversité et les écosystèmes. L’état trophique des lacs, les pesticides dans les cours d’eau en milieu agricole, l’état global de la physicochimie et de la bactériologie des tributaires du fleuve ou encore les plantes aquatiques exotiques envahissantes sont entre autres analysés.   « Le rapport peut faire ressortir certains enjeux et permet, du même coup, d’accompagner la prise de décisions, fait valoir Emma Couture. Certains programmes peuvent, par exemple, être orientés en fonction de ceux-ci. »   

Course de fond

Pour Charles Mercier et Emma Couture, la production du récent Rapport sur l’état des ressources en eau et des écosystèmes aquatiques du Québec a eu toutes les allures d’une course de fond. Le duo a d’ailleurs enfilé ses chaussures de course pratiquement deux ans avant la date de dépôt ciblée. Le processus a démarré avec la révision des indicateurs, question de s’assurer qu’ils demeurent pertinents, explique le chargé de projet. Puis, les contacts ont été lancés avec les différentes équipes du MELCCFP responsables de l’acquisition, de l’analyse et de l’interprétation des données environnementales essentielles à la production du document. « Il faut voir ce que ces équipes ont en main comme données et ce qu’elles peuvent nous transmettre selon nos échéances, explique Charles Mercier. Ce contact initial est quand même assez long. » Sous l’impulsion du chargé de projet, les mandats de rédaction et de révision ont ensuite été détaillés et confiés aux différents collaborateurs ciblés dans chacune des équipes. Un guide de rédaction leur a par ailleurs été fourni pour assurer une certaine uniformité pour la présentation du contenu. « Comme c’est un travail de rédaction commun, on ne veut pas que ça parte dans tous les sens, fait valoir Charles Mercier. Chaque scientifique peut avoir sa façon de présenter les choses, mais ça ne parle pas nécessairement à tout le monde. Il y a donc un travail d’uniformisation et de vulgarisation à faire. Mais ils [les experts] ont tous vu qu’il y a une plus-value à présenter leurs informations d’une autre manière. » Le grand manitou du rapport sur l’eau relève d’ailleurs que plusieurs collaborateurs de l’édition 2020 ont réitéré l’expérience en 2025. Le travail s’en est trouvé facilité.

« Le rapport vise à brosser un portrait clair et actuel des ressources en eau et des écosystèmes aquatiques du Québec : état, tendances, pressions subies, possibles effets des changements climatiques. »

— Charles Mercier, chargé de projet au MELCCFP

 

Travail important

Lyne Pelletier, coordonnatrice de l’équipe du suivi et de l’évaluation de l’état des cours d’eau, est l’une des collaboratrices de la première heure pour la production du rapport. Bien que son rôle ait évolué avec les années, elle a participé aux éditions 2014, 2020 et 2025. L’équipe qu’elle coordonne, composée d’une douzaine de professionnels spécialisés, a contribué à la rédaction de 11 des 24 fiches d’indicateurs et à près d’une dizaine d’encarts portant sur des sujets précis et d’actualité. Certains traitent, par exemple, des résidus miniers amiantés, des pesticides dans les eaux souterraines en milieu agricole et du portrait global du fleuve Saint-Laurent.   Selon Mme Pelletier, il s’agit d’un travail d’ampleur qui s’ajoute aux mandats courants et quotidiens de chacun. Mais le jeu en vaut la chandelle. « C’est un rapport qui présente différentes informations vulgarisées et qui permet d’avoir un regard juste et éclairé sur l’état de nos milieux aquatiques », affirme Lyne Pelletier, biologiste de formation et détentrice d’une maîtrise en sciences de l’environnement. « Il met de l’avant le travail de chacun des experts et montre que l’acquisition de connaissances qu’ils réalisent donne accès à des informations vraiment importantes », renchérit Emma Couture. En effet, la production du rapport est rendue possible notamment par l’existence des différents réseaux de suivi des lacs et des cours d’eau du Québec qui permettent au Ministère de suivre de près leur état. On s’en doute, l’un des plus grands défis rencontrés en cours de route est de gérer tout ce beau monde en fin d’échéancier et de veiller à l’approbation de leur contribution respective, souligne Charles Mercier. Au fil des éditions, dit-il, le contenu a par ailleurs été adapté pour répondre davantage aux intérêts du lectorat visé, soit les acteurs de l’eau. Le nombre d’indicateurs a également été revu à la baisse afin de prioriser ceux pour lesquels la disponibilité et la représentativité des données sont les plus grandes, ajoute le chargé de projet. Un important travail de synthèse a en outre été effectué afin de diminuer le nombre de pages, qui atteignait 500 en 2020. La nouvelle édition en compte 220. « J’en avais fait un objectif personnel, relève M. Mercier. Quand on a trop d’informations, on peut perdre l’essentiel. C’était audacieux, quand même, de couper de moitié, sans supprimer d’informations pertinentes. Mais on a réussi. » Le chargé de projet, qui a fait des études universitaires en environnement, éprouve une grande satisfaction personnelle à l’accomplissement de son travail. « Ça me fait voir tellement de sujets. C’est fascinant, lance Charles Mercier. J’ai une formation, avec un baccalauréat et une maîtrise, plus généraliste. Et même si j’ai des connaissances dans le domaine, j’en apprends beaucoup en coordonnant l’ensemble des indicateurs. » « Je trouve ça impressionnant de voir ce que tout le monde fait, poursuit-il. Ça me fait réaliser qu’il y a beaucoup de travail accompli sur les réseaux de suivi au ministère. Il y a beaucoup de gens derrière tout ça. »

Plutôt unique

Question de rendre cette manne d’informations digeste, une attention a par ailleurs été portée à l’aspect visuel du document, souligne le chargé de projet. La navigation y est « dynamique ». Il n’est donc pas nécessaire de lire le rapport de façon intégrale.    « Si ce qui vous intéresse porte, par exemple, sur les macroinvertébrés, vous pouvez accéder à la fiche souhaitée en trois clics », dit Charles Mercier.   Par ailleurs, les informations du rapport peuvent être complétées par celles de l’Atlas de l’eau, présenté sous forme de cartes interactives. Ces dernières sont mises à jour régulièrement pour actualiser les différentes connaissances sur l’eau. De l’avis de Charles Mercier et d’Emma Couture, l’outil aurait peu de comparables. « Je fais partie du Bureau des connaissances sur l’eau et, dans une optique d’amélioration continue de nos outils, on fait beaucoup de recherches pour voir ce qui se fait ailleurs, relève M. Mercier. Selon ce que j’ai vu, il n’y a pas beaucoup de provinces qui font un rapport comme ça. Je pense qu’on est un des chefs de file en matière de transparence sur le travail de nos réseaux de suivi. » « C’est un outil assez unique, opine Emma Couture. Mais la ressource en eau au Québec a également une place assez unique, notamment avec la mise en œuvre de la loi sur l’eau. » Mentionnons aussi que l’actuelle structure du Rapport est inspirée du Portrait global de l’état du Saint-Laurent, auquel le MELCCFP adhère et contribue aussi largement.

Visibilité

Tout ce travail doit maintenant être partagé, estime pour sa part le coordonnateur responsable du Plan national de l’eau au MELCCFP, Patrick Émond. « Le défi est de faire connaître le rapport », dit-il. Les données de l’édition 2020 du Rapport sur l’état des ressources en eau et des écosystèmes aquatiques avaient déjà permis « d’alimenter les réflexions » dans le cadre du Forum d’action sur l’eau pour la production du Plan, adopté en 2024.   Dans la foulée du dépôt de la nouvelle mouture du rapport, au début de l’été, les résultats ont été présentés aux membres du Forum, qui proviennent des milieux municipal, environnemental, scientifique et économique. « Je dirais qu’on a franchi une seconde étape dans la sensibilisation à l’existence de ce rapport, se réjouit Patrick Émond. On a gagné en crédibilité et en visibilité auprès des différents acteurs de l’eau. » Cette adhésion est essentielle, croit-il, car le rapport est appelé à perdurer. « La longévité est d’ailleurs gage de sa pertinence », est convaincu M. Émond. Autre signe de l’intérêt, voire de la réception positive, à l’égard du document : plusieurs membres du Forum d’action sur l’eau ont exprimé le souhait que le rapport fasse l’objet d’une présentation particulière à leur organisme, souligne M. Émond. « Ça fait des petits, tout ça », se félicite-t-il.   Les récentes informations du rapport n’ont d’ailleurs pas fini de rayonner. Elles pourront servir de matériau de base dans le cadre d’une réflexion que le Ministère souhaite réaliser l’an prochain sur l’intérêt de bonifier le Plan, indique Patrick Émond.   Selon lui, les résultats du rapport, de même que le suivi de l’avancement des cibles du Plan, seront deux intrants importants dans la réflexion à venir. « On va voir s’il y a des ajustements à faire et s’il y a des éléments à prioriser davantage », dit le coordonnateur.

 

« Un outil vraiment puissant »

Les directeurs généraux de deux organismes environnementaux, sondés par le magazine Source, saluent l’importance du travail réalisé par le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) pour la production du Rapport sur l’état des ressources en eau et des écosystèmes aquatiques. Et ils y vont au passage de quelques critiques constructives pour une prochaine édition. « Il y a quelque chose de rassurant à voir que le ministère de l’Environnement est transparent dans le partage des résultats, affirme André Bélanger, de la Fondation Rivières. Parce que c’est aussi un échec des politiques publiques quand on voit qu’il y a une détérioration [de certains indicateurs]. »

« Je tire mon chapeau au ministère là-dessus, ajoute M. Bélanger. Il y a une transparence et une ouverture qui sont tout à son honneur. Je crois qu’il faut le souligner. »

au et des écosystèmes aquatiques. Et ils y vont au passage de quelques critiques constructives pour une Le document est bien fait et n’est pas avare de données, confirme de son côté Karine Dauphin, du Regroupement des organismes de bassins versants du Québec (ROBVQ). L’Atlas de l’eau se révèle par ailleurs un complément au rapport très pertinent et précieux, dit-elle.

Pour aller plus loin

S’il n’en tenait qu’à André Bélanger, le rapport pourrait néanmoins profiter d’une analyse un peu plus pointue des données. « C’est un outil vraiment puissant, dit-il. Mais le mandat devrait comprendre la mise en lumière des politiques publiques et des actions gouvernementales pour guider la prise de décision qui va suivre. » Karine Dauphin abonde dans le même sens. « C’est bien de dire si ça va mieux ou pas, dit-elle. Mais, finalement, où on en est par rapport à ce qu’on veut atteindre ? Intégrer des objectifs, par rapport aux tendances, pourrait être bien. » En ce qui a trait aux conclusions du rapport à proprement parler, M. Bélanger dit trouver « très inquiétante » la qualité des cours d’eau en milieu agricole. Celle-ci demeure préoccupante, a-t-il été conclu à la lumière des données recensées. Mais la diminution observée du risque que posent les pesticides pour les organismes aquatiques du lac Saint-Pierre, grâce à de nouvelles exigences réglementaires et au travail du milieu agricole, incite André Bélanger à se questionner. Y aurait-il des leçons à tirer de l’évolution du lac Saint-Pierre pour aider les cours d’eau agricoles ? La réponse viendra peut-être avec le prochain rapport, dans cinq ans.

 

Quelques faits saillants de l’édition 2025 du Rapport sur l’état des ressources en eau et des écosystèmes aquatiques

  • La population du bar rayé du fleuve Saint-Laurent se porte bien.
  • Le risque que posent les pesticides pour les organismes aquatiques a diminué dans le lac Saint-Pierre depuis 2015.
  • La qualité de l’eau des cours d’eau en milieu agricole est préoccupante.
  • Une tendance à la détérioration est observée pour cinq des sept indicateurs spécifiquement liés au fleuve Saint-Laurent.
  • Près de la moitié des espèces d’amphibiens et de reptiles dépendantes des milieux humides et hydriques sont en situation précaire au Québec.
  • L’introduction d’espèces exotiques envahissantes aquatiques animales demeure un enjeu au Québec.

Indicateurs de la qualité de l’eau

  • Communautés de diatomées benthiques dans les petits cours d’eau en milieu agricole = Communautés de macroinvertébrés benthiques en substrat grossier
  • Communautés de macroinvertébrés benthiques en substrat meuble
  • Contamination des poissons par les toxiques en eau douce
  • État trophique des lacs
  • Métaux en cours d’eau
  • Pesticides dans le lac Saint-Pierre
  • Pesticides dans les cours d’eau en milieu agricole
  • Physicochimie et bactériologie des cours d’eau en milieu agricole
  • Physicochimie et bactériologie des masses d’eau du fleuve
  • Physicochimie et bactériologie des tributaires du fleuve
  • Qualité bactériologique de l’eau en rive du fleuve Saint-Laurent

Indicateurs de la biodiversité et des écosystèmes

  • Atteinte des seuils de conservation pour le saumon Atlantique
  • Biovolume de la végétation aquatique submergée dans le fleuve Saint-Laurent
  • Degré de naturalité des écosystèmes aquatiques
  • Écologie et biodiversité floristique en milieux humides
  • Espèces floristiques en situation précaire
  • État des populations exploitées en lac (doré, touladi, omble de fontaine)
  • État des principales espèces exploitées du fleuve Saint-Laurent
  • Indice d’introduction des espèces exotiques envahissantes aquatiques animales
  • Plantes aquatiques exotiques envahissantes
  • Population du bar rayé du fleuve Saint-Laurent
  • Tendance des rangs de précarité des espèces d’amphibiens et de reptiles dépendantes des milieux humides et hydriques
  • Tendance des rangs de précarité des espèces de moules d’eau douce indigènes et de poissons d’eau douce et migrateurs

Le rapport complet et sa version synthèse peuvent être consultés à l’adresse suivante : www.environnement.gouv.qc.ca/eau/rapport-eau/index.htm.

Ce reportage a été réalisé grâce à la participation financière du gouvernement du Québec

 

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