Cet été, au Québec, les aléas climatiques combinés à une forte demande en eau ont engendré une pression majeure sur les prises d’eau de plusieurs municipalités, particulièrement celles alimentées par des puits. Malgré ce contexte, le Québec demeure un champion mondial de la consommation d’eau. Ailleurs, l’eau est considérée comme une ressource précieuse, et sa réutilisation est devenue courante. Cet article trace le portrait d’une approche qui pourrait s’imposer ici plus rapidement qu’on ne le pense : le recyclage de l’eau usée.
Deux types de recyclage
On distingue deux types de recyclage de l’eau usée :
- La réutilisation non potable, souvent en réseau séparé (irrigation, usages industriels, arrosage des espaces verts, chasse d’eau), qui permet d’ajuster le niveau de traitement selon l’usage visé.
- La réutilisation potable, directe ou indirecte, avec restitution dans une ressource (nappe, réservoir) avant le traitement final. Dans ce cas, le recyclage de l’eau devient un intrant principal de l’usine de production d’eau potable et contribue à sécuriser l’approvisionnement.
Réglementations québécoise et canadienne
Ni le Québec ni le Canada n’ont de réglementation proprement dite sur le recyclage de l’eau usée. Certaines balises concernent néanmoins la réutilisation de l’eau pour des applications non potables.
Santé Canada a publié des lignes directrices pour l’eau recyclée domestique destinée aux toilettes et urinoirs. De la même manière, le Code national de la plomberie et le Code de construction du Québec intègrent la conception des réseaux d’eau non potable en s’appuyant notamment sur la norme canadienne.
En agriculture, l’encadrement de l’eau d’irrigation des fruits et légumes relève entre autres de la salubrité alimentaire. Ainsi, l’Agence canadienne d’inspection des aliments rassemble les exigences propres à chaque culture. Il est essentiel de cibler tout risque de contamination. Plus le contact avec les parties comestibles est direct, plus les exigences de qualité sont élevées. Par exemple, l’eau servant à l’arrosage des aliments peut exiger une désinfection UV, alors qu’un arrosage par goutte-à-goutte enterré ou au pied des aliments n’en demandera pas nécessairement.
Seule la Colombie-Britannique dispose d’un règlement complet sur le recyclage de l’eau usée. Celui-ci inclut un guide détaillant les classes d’usages, les exigences de qualité (ex. coliformes fécaux, turbidité, désinfection) et les obligations de gestion en fonction du niveau d’exposition. Ce règlement prévoit une gradation de l’exposition (faible, modérée, forte) et des prescriptions adaptées pour limiter les risques en cas de contact. Même s’il ne s’applique pas directement au Québec, ce cadre a inspiré certains projets québécois et pourrait servir de modèle pour d’autres applications d’eau non potable, comme l’arrosage des espaces verts, la voirie et certains usages industriels.
Ailleurs dans le monde
La situation est bien différente dans d’autres pays. Aux États-Unis, une réglementation complète encadre la réutilisation de l’eau depuis 2012. Certains États ont pris des initiatives spécifiques pour le recyclage de l’eau usée en eau potable. En effet, en 2023, la Californie et le Colorado ont mis en place un cadre couvrant la conception et les exigences de suivi menant à plusieurs projets d’envergure, notamment à Orange County, Los Angeles et Las Vegas.
En Europe, une réglementation est entrée en vigueur en juin 2023 pour fixer des exigences minimales relatives à la réutilisation de l’eau en irrigation agricole. Elle précise les catégories de qualité, le suivi nécessaire et les règles concernant la gestion des risques.
À Singapour, jusqu’à 40 % des besoins en eau sont déjà comblés par la réutilisation des eaux usées, une proportion appelée à croître dans les prochaines années.
Enfin, en Israël, près de 90 % des eaux usées traitées sont réutilisées, principalement pour l’irrigation agricole, ce qui démontre la faisabilité de réseaux d’eau recyclée à grande échelle.
Filières et objectifs de performance
En fonction de l’utilisation visée – potable ou non potable –, les filières avancées de recyclage de l’eau combinent différents blocs de traitement. Ensemble, ils permettent une gestion efficace des pathogènes, des micropolluants, dont les polyfluoroalkylés (PFAS), ainsi que des goûts et des odeurs.
- Les prétraitements incluent le tamisage, la coagulation-floculation, la décantation, la filtration rapide ou la biofiltration (BAF) pour stabiliser les charges. On ajoute parfois l’ozonation-filtration biologique pour l’oxydation des polluants organiques.
- Les barrières membranaires par ultrafiltration sont une composante clé du procédé pour éliminer les protozoaires et les bactéries.
- Selon les sels et micropolluants présents, les traitements avancés peuvent s’ajouter. On peut recourir à l’osmose inverse pour retirer les sels dissous et/ou une oxydation avancée suivie de charbon actif pour éliminer les pesticides et certains PFAS.
- Le conditionnement comprend la reminéralisation, le contrôle du carbone organique total (COT) et de la conductivité ainsi que le suivi opérationnel.
L’efficacité de ces filières de traitement repose sur une approche de traitement par barrières qui assure en tout temps une réduction maximale des agents pathogènes et des contaminants chimiques. Elles doivent aussi intégrer des capteurs en continu corrélés à la performance (turbidité, pression transmembranaire, COT, UVT, rédox, désinfectant résiduel).
Pour ce type de filières, il est essentiel de travailler avec des firmes spécialisées ayant l’expérience dans ce genre de projets et une expertise couvrant l’ensemble des étapes de la filière de traitement.
Le recyclage de l’eau comme un atout pour le futur
Même si ce n’est pas pour demain, il est important que la population québécoise comprenne mieux le concept du recyclage de l’eau usée. Lorsque de tels projets verront le jour, il faudra s’appuyer sur trois piliers pour en garantir le succès : l’éducation, la collaboration entre les paliers de gouvernement et la transparence des autorités responsables, comme ce fut le cas dans les projets à l’international.
À court terme, l’adoption de meilleures balises pour encadrer le recyclage de l’eau permettrait de sécuriser la ressource, de lancer des projets structurés à valeur ajoutée et de développer l’expertise locale en matière de recyclage de l’eau usée. Cette expérience pourrait ensuite offrir un tremplin vers la potabilisation, si l’occasion se présente.
Et si, après avoir été champion de la consommation, le Québec devenait champion du recyclage de l’eau ?