Le 23 septembre 2021, la Cour supérieure du Québec rendait la décision Pillenière, Simoneau c. Ville de Saint-Bruno-de-Montarville 1, traitant ainsi des restrictions au développement résidentiel en milieu humide à travers la réglementation municipale. Cette décision, toute récente, fait déjà couler beaucoup d’encre, surtout dans un contexte de pandémie, où le marché et le développement immobilier occupent une place très importante. Or, ce jugement n’est pas définitif au moment d’écrire ces lignes, car le délai pour porter le jugement en appel court encore.
Le contexte
Le recours a été entrepris par un groupe de promoteurs immobiliers (ci-après les « Promoteurs »), qui sont propriétaires depuis plus de 15 ans de terrains vacants dans la circonscription foncière de Chambly, sur le territoire de Saint-Bruno-de-Montarville (ci-après la « Ville »), plus particulièrement dans le secteur connu sous le nom du Boisé Sabourin. Jusqu’en 2014, le règlement de zonage de la Ville permettait le développement immobilier, résidentiel et commercial dans ce secteur.
En avril 2012, la Communauté métropolitaine de Montréal (ci-après « CMM ») dépose son Plan d’aménagement et de développement, qui prévoit l’objectif de protéger et de mettre en valeur au moins 17 % du territoire du grand Montréal à des fins d’espaces naturels et d’écosystème d’intérêt. L’agglomération de Longueuil adopte en 2014 un règlement de contrôle intérimaire portant notamment sur l’abattage d’arbres dans certaines parties de son territoire. La coupe d’arbres à des fins de développement résidentiel et commercial est alors interdite dans les aires boisées d’intérêt, dont le Boisé Sabourin. À partir de 2016, la Ville modifie sa réglementation afin d’interdire la coupe d’arbres pour fins de développement résidentiel ou commercial dans le Boisé Sabourin.
Il convient de préciser que, dans le cadre du développement immobilier envisagé par les promoteurs, une autorisation en vertu de l’article 22 de la Loi sur la qualité de l’environnement 2 devrait être obtenue, les projets étant situés en milieux humides.
Le recours et les prétentions des promoteurs
Le 16 juin 2017, les Promoteurs introduisent un recours contre la Ville sur la base d’une expropriation déguisée. Ils affirment que les dispositions réglementaires adoptées au sujet de la coupe d’arbres les empêchent de jouir de leurs propriétés, car ils ne peuvent pas réaliser leurs projets de développement immobilier, ce qui les prive ainsi de tout usage raisonnable de leurs lots.
La décision de la Cour supérieure
D’abord, la Cour supérieure rappelle que pour qu’elle fasse droit à la demande des Promoteurs, la restriction imposée par les dispositions réglementaires municipales doit équivaloir à une suppression de toute utilisation raisonnable du lot, ou à une véritable confiscation par la Ville 3. Le Tribunal souligne que le critère applicable afin d’évaluer l’acte municipal est la norme de la décision raisonnable et qu’il doit donc faire preuve de retenue dans son analyse.
La Cour conclut que la Ville avait le pouvoir d’adopter, dans son règlement de zonage, des dispositions restreignant l’abattage d’arbres, compte tenu de la proximité de milieux humides et hydriques, et ce, considérant le pouvoir qui est délégué aux municipalités en vertu des paragraphes 12.1 et 16 du deuxième alinéa de l’article 113 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (ci-après « LAU ») 4. Selon la Cour, nous sommes en présence d’une disposition claire qui habilite la Ville à adopter les dispositions en litige pour la protection de l’environnement, contrairement à plusieurs autres décisions en la matière, où il s’agit plutôt du pouvoir général de zoner, prévu aux paragraphes 2 et 3 du même article. Dans ce dernier cas, les tribunaux ont jugé que d’user du pouvoir de zoner strictement à des fins d’utilité publique, privant ainsi les propriétaires de leur droit de propriété, sans indemnisation, ne respectait pas la finalité voulue par le législateur dans sa délégation de pouvoir. La Cour note également que dans le présent cas, les lots des Promoteurs ne sont pas mis à disposition de la Ville ou des citoyens.
Ainsi, la seule question qui demeure aux yeux de la Cour est celle de savoir si la Ville a exercé son pouvoir de manière abusive ou déraisonnable. Le Tribunal énonce que, comme plusieurs types de coupe d’arbres demeurent autorisés 5 et que les restrictions ont été adoptées pour des raisons qui sont, selon lui, tout à fait légitimes et claires, l’acte municipal n’est pas déraisonnable. Selon la Cour, la seule diminution de perte de valeur des lots résultant de l’imposition des restrictions ne peut pas mener à l’invalidité des dispositions en litige 6.
Selon elle, bien que les dispositions aient pour effet d’empêcher le développement résidentiel et commercial, cela ne suffit pas pour conclure à l’expropriation déguisée.
La portée et les répercussions de cette décision
Faut-il comprendre de cette décision de la Cour supérieure que toute prohibition, par l’administration municipale, qui entre dans le cadre de l’article 113, al. 2(16) de la LAU, et non dans le cadre général du pouvoir de zoner de l’article 113, al. 2(2) et (3), sera jugée raisonnable si elle respecte la finalité du législateur provincial, soit la protection de l’environnement ? Ce jugement indique que les municipalités ont un pouvoir de prohibition assez large et une marge de manœuvre importante quant à leur façon de restreindre, sans compensation, le droit d’user de sa propriété, dans un contexte où les tribunaux doivent faire preuve de déférence quant à ce genre d’acte municipal. Le propriétaire pourrait ainsi se retrouver avec un terrain qui, du jour au lendemain, perd presque toute valeur, et presque tout usage, sans pour autant être considéré comme en étant exproprié tant que certains droits d’usage, même minimes, persistent.
Cette décision aura vraisemblablement une influence très importante sur les décisions à venir dans le cadre de tout recours en expropriation déguisée. Il faudra donc surveiller ce qu’il adviendra de cette jurisprudence si les Promoteurs la portent en appel
- 2021 QCCS 4031.
- RLRQ, c. Q-2.
- Par. 60 du jugement. La Cour cite Ville de Saint-Rémi c. 9120-4883 Québec inc., 2021 QCCA 630, par. 63.
- RLRQ, c. A-19.1.
- Notamment : coupe d’amélioration, assainissement, dégagement, jardinage, nettoyage, récupération, aménagement faunique, coupe récréative extensive ou récréotouristique, implantation de constructions et d’activités agricoles, exploitation forestière, etc.
- Par. 108 du jugement.