Les besoins énergétiques au Québec continuent d’augmenter, et ce, tant du côté des industries que dans le secteur résidentiel, mettant à rude épreuve la capacité du réseau hydroélectrique. Depuis des années, le gouvernement mise sur des mesures d’économie d’énergie et sur le développement d’autres sources énergétiques, comme l’énergie éolienne ou le gaz naturel renouvelable. Toutefois, une autre source d’énergie demeure méconnue et, malheureusement, sous-exploitée : l’énergie thermique des eaux usées.
La valorisation des rejets thermiques au Québec
Depuis quelques années, la valorisation des rejets thermiques (VRT) s’impose comme une approche privilégiée par le gouvernement, offrant un potentiel énergétique inexploité au Québec. Plusieurs projets ont déjà vu le jour au Québec, dont le parc agrothermique de Saint-Félicien, où la chaleur excédentaire de la centrale de cogénération de Produits forestiers Résolu alimente un réseau de chaleur pour chauffer des serres de concombres. De la même façon, des complexes résidentiels, comme l’écoquartier Zibi, exploitent la chaleur résiduelle d’industries voisines pour chauffer les bâtiments en hiver ou utilisent l’eau de rivière dans des systèmes de refroidissement en été.
D’autres initiatives prometteuses sont en cours de développement, comme le stockage géothermique de la chaleur transférée par des conduites d’égout et l’intégration de systèmes de chauffage (résidentiels ou agricoles) qui récupèrent l’énergie thermique des centres de données.
Chaleur dans les eaux usées
L’énergie idéale serait à la fois simple à produire, renouvelable et stable. Parmi les sources répondant le mieux à ces critères : les eaux usées de nos égouts. Cette approche s’avère particulièrement pertinente en milieu nordique, où le contraste marqué entre la température extérieure et celle des eaux usées en hiver crée des conditions optimales.
Ces dernières années, plusieurs projets ont vu le jour autour de cette approche, dont l’installation de tubes d’échange de chaleur dans les bassins pour capter l’énergie des eaux usées. Simple, cette technologie a déjà été mise en place au Québec pour de petites installations.
Cependant, la récupération de chaleur dans des procédés biologiques, comme les lagunes, présente des limites. En hiver, le long temps de séjour de l’eau dans ces bassins entraîne un refroidissement de l’eau, ce qui réduit l’efficacité du processus. De plus, la formation de dépôts, comme du biofilm, sur les conduites peut nuire au transfert de chaleur.
L’eau usée la plus chaude se trouve directement dans les égouts. Pour optimiser la récupération de chaleur, il faut la capter au plus près possible de la source d’eau usée. Cette approche pose différents défis :
- La récupération de chaleur des eaux usées peut devenir un enjeu dans un environnement urbain dense où des conduites souterraines profondes sont à proximité des bâtiments.
- Sans prétraitement, les eaux peuvent être fortement chargées en solides susceptibles d’obstruer les échangeurs de chaleur. Les eaux usées doivent donc être tamisées pour assurer le bon fonctionnement du système.
- Il est important d’utiliser des échangeurs de chaleur efficaces en tout temps pour éviter les risques de blocage par les dépôts. Dans ce contexte, les échangeurs de chaleur « shell-and-tube », utilisés pour des boues, sont fortement contre-indiqués. Bien que leur conception soit simple, ils présentent un risque accru de fissuration avec le temps, particulièrement en présence de filasses ou de biofilm. Pour maximiser la surface de contact et éviter les risques d’obstruction, il est recommandé d’utiliser des échangeurs de chaleur à tubes caloporteurs équipés d’un système de nettoyage automatique par raclage. Ces échangeurs peuvent être installés dans une cuve d’eau usée équipée d’une vis qui évacue la matière raclée en même temps que les refus tamisés. Ils peuvent aussi être directement installés dans un canal d’eau usée, par exemple au point de rejet d’une station d’épuration. Les essais réalisés montrent que les échangeurs à tubes caloporteurs offrent la conception la mieux adaptée à ce type d’application.
Projets exemplaires à Toronto et à Markham
Deux initiatives récentes en Ontario illustrent le potentiel de la récupération de chaleur des eaux usées grâce à des échangeurs thermiques.
- L’hôpital Western de Toronto
Ce projet utilise les eaux usées de la ville par un collecteur principal pour couvrir 90 % des besoins en chauffage et en climatisation de l’hôpital. Avec une capacité de 19 MW, ce système réduit les émissions de CO2 de l’établissement de 8 400 tonnes par an. De plus, il génère des économies d’eau annuelles de 95 000 m3. La sécurité environnementale et publique étant primordiale, il intègre un processus avancé de tamisage des eaux usées éliminant les solides et les odeurs. Son mécanisme d’autonettoyage réduit au minimum les besoins d’entretien.
- La communauté de Markham
En 2024, Markham District Energy (MDE) a annoncé le lancement du plus grand projet de transfert d’énergie des eaux usées à l’échelle mondiale. Ce système servira à chauffer et à climatiser les maisons et les entreprises du centre-ville de Markham, tout en réduisant de 30 000 tonnes les émissions de CO2 par an.
L’énergie thermique des eaux usées : une voie d’avenir
La valorisation de l’énergie thermique des eaux usées représente une solution innovante pour répondre à la demande énergétique croissante tout en réduisant l’empreinte carbone. En plus de réduire les émissions de gaz à effet de serre, cette approche améliore l’efficacité énergétique et stimule l’économie verte.
Le succès de ces projets repose sur un partenariat étroit entre les secteurs public et privé pour assurer une mise en œuvre efficace et rapide. L’expérience montre que l’énergie thermique cachée dans les eaux usées pourrait devenir un élément clé dans la transition énergétique du Québec au cours des prochaines années.