ReportagesLa toilette n’est pas une poubelle !

La toilette n’est pas une poubelle !

Par Par Marie-France Létourneau

Une cuvette de toilette n’a rien de magique. Tirer la chasse d’eau ne fait pas disparaître ce qui s’y trouve. Ça semble être une évidence. Pourtant, des lingettes humides, des produits d’hygiène féminine, des condoms et des cheveux se retrouvent en grande quantité dans les égouts et les systèmes de traitement d’eaux usées. Cette situation se révèle problématique et coûteuse pour les municipalités. En voici un tour d’horizon. 

« Il est plus simple de dire ce qui va dans les toilettes que ce qui n’y va pas », laisse tomber le directeur du Service des eaux de la Ville de Saint-Eustache, Yanick Fortier.  

Mettons tout de suite les choses au clair : seuls les excréments, l’urine et le papier hygiénique ont leur place dans la toilette.

Tout le reste ne devrait jamais s’y retrouver. C’est par exemple le cas des… dentiers trouvés par Yanick Fortier.

« J’ai personnellement trouvé deux dentiers, lance-t-il. Je dirais que c’est pas mal le top ! Et souvent, quand on intercepte [les intrus], ils sont rendus loin. Ça veut dire qu’ils peuvent avoir passé à travers une, deux ou trois stations de pompage… »

Dans la très grande majorité des municipalités, les rejets des toilettes, tout comme les eaux ménagères (cuisine, salle de bain et buanderie) et les eaux pluviales, passent par tout un réseau de conduites de distribution qui les acheminent jusqu’à une station d’épuration. Ils sont ensuite traités avant d’être rejetés dans les cours d’eau.  

Ce processus, qui nécessite plusieurs infrastructures et équipements spécialisés, est réalisé en plusieurs étapes, dont le dégrillage, le dessablage, la décantation, le dégraissage, l’aération, le retrait des boues usées (solides retirés des tamis) et divers traitements nécessitant des produits chimiques.

Tendance inversée

Tout cela est relativement nouveau. Avant les années 1980, les eaux usées municipales, domestiques et industrielles étaient majoritairement rejetées dans l’environnement sans traitement préalable. La création de la Société québécoise de l’assainissement des eaux (SQAE) a cependant permis de renverser la tendance.

« Le Programme d’assainissement des eaux du Québec (PAEQ), lancé en 1978, et son successeur, le Programme d’assainissement des eaux municipales (PADEM), ont favorisé la construction de stations d’épuration qui permettent maintenant de traiter les eaux usées de 98 % de la population québécoise raccordée à un réseau d’égouts », indique le Portrait global de la qualité des eaux au Québec 1. Cette démarche relève du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs.  

Il s’agissait, à l’époque, d’un grand pas pour l’environnement, confirme le président-directeur général de Réseau Environnement, Mathieu Laneuville.  

Mais tout n’est pas parfait. « Il y a encore des surverses à des moments qui ne sont pas idéaux, dit celui-ci. Il faut continuer à travailler. C’est pour cela que chez Réseau Environnement, nous avons un gros chantier. Nous avons commencé à l’appeler “Assainissement 2.0”. »

Selon M. Laneuville, l’évolution, au cours des dernières décennies, des connaissances en gestion de l’eau, mais également la multiplication des contaminants, justifie ce grand chantier qui vise l’amélioration du niveau de service.

Ce travail de fond s’inscrit cependant dans un contexte de sous-financement des infrastructures d’eau. « Près de 20 % de nos infrastructures d’eau, autant pour l’eau potable que pour les eaux usées, sont en mauvais ou en très mauvais état, souligne le PDG de Réseau Environnement. Cela a des répercussions sur la santé de nos écosystèmes et sur la santé humaine. »

Il importe ainsi, dit-il, de trouver une façon de financer à long terme ces infrastructures pour assurer leur pérennité.

À l’heure actuelle, les fonctionnaires municipaux réalisent des « miracles » avec les budgets dont ils disposent, calcule Mathieu Laneuville.

Selon lui, il en coûte, au Québec, au Canada, aux États-Unis et en Europe, de 3 $ à 4 $ par mètre cube pour les services d’eau, soit la production et la distribution d’eau potable, ainsi que la collecte et le traitement des eaux usées.

Mais il s’agit d’une moyenne, précise M. Laneuville. Les coûts peuvent ainsi être plus bas dans les grandes villes populeuses, tandis qu’ils peuvent être plus élevés dans les municipalités de plus petite taille ayant des traitements avancés des eaux.

Les fameuses lingettes

D’importants frais, ultimement assumés par les contribuables à travers les taxes municipales, pourraient malgré tout être évités si tous veillaient à ne pas utiliser la toilette comme une poubelle. Le simple fait d’y déposer des lingettes humides représente un véritable fléau économique et écologique, lisait-on dans le magazine Source en 20212.

À l’époque, une enquête réalisée auprès des municipalités membres du Programme d’excellence en eaux usées – Stations de récupération des ressources de l’eau de Réseau Environnement (PEX-StaRRE) avait révélé que 92 % des villes interrogées devaient composer avec le problème des lingettes.

Ces dernières peuvent notamment boucher les égouts, provoquer des refoulements dans les résidences, entraîner des déversements d’eaux usées dans les cours d’eau et obstruer les pompes.  

« Les lingettes humides et les autres choses que l’on envoie dans les toilettes entraînent des coûts additionnels annuels de 250 millions de dollars pour les municipalités canadiennes sur le plan de l’entretien et du remplacement d’équipements », souligne le spécialiste en environnement et ex-chef du Parti vert du Québec Scott McKay. Celui-ci est l’auteur de l’ouvrage L’aventure du caca : égouts et gestion des eaux publié aux éditions Somme toute.  

L’Association canadienne des eaux potables et usées milite depuis plusieurs années afin qu’une norme soit adoptée pour obliger les fabricants de lingettes à usage unique à commercialiser des produits qui respectent les normes de dégradabilité dans les égouts. Un comité, auquel siège M. McKay, est consacré à cette question.

Les produits devraient être soumis à un banc d’essai afin que l’emballage indique clairement – ce qui n’est pas le cas actuellement – s’ils peuvent être jetés dans les toilettes ou pas, souligne l’ingénieure en assainissement et gestion des eaux à la Ville de Terrebonne Martine Lanoue.

Terrebonne a d’ailleurs adopté une résolution en ce sens qu’elle a fait parvenir au gouvernement du Québec.

« À Terrebonne, selon les chiffres de Réseau Environnement, en 2021, on comptait 150 000 $ à 500 000 $ de dépenses parce que les gens jetaient les lingettes dans la toilette plutôt que dans la poubelle, dit Mme Lanoue. Au Québec, on parle de 8 à 26 millions de dollars que nous pourrions consacrer à autre chose au lieu de débloquer des conduites et d’acheter des pompes qui déchiquettent. »

Martine Lanoue, qui depuis peu représente en outre le secteur de l’eau au sein de Réseau Environnement, souligne d’ailleurs avoir beaucoup de respect pour ses collègues qui doivent pallier les problèmes causés par cette problématique.

« Cette situation fait qu’il faut débloquer les pompes et retirer les lingettes prises, expose-t-elle. Ce sont des enjeux de santé et de sécurité. Ce sont des milieux nocifs, avec des maladies véhiculées dans les eaux usées. Il y a aussi des gaz toxiques. Et il faut aller jouer les deux mains dedans… »

« Les lingettes humides et les autres choses qu’on envoie dans les toilettes entraînent des coûts additionnels annuels de 250 millions de dollars pour les municipalités canadiennes. »

— Scott McKay,  spécialiste en environnement

Monstre des égouts

Outre les dentiers trouvés par le directeur du Service des eaux de la Ville de Saint-Eustache, d’autres objets inusités sont observés dans les installations de traitement des eaux usées, selon les intervenants sondés dans le cadre de ce reportage. Dans le lot : des jouets, des poupées, des gants de latex, des masques de procédure, ainsi que des bâtons de hockey et des blocs de construction (qui sont glissés dans les grilles d’égout).

« Les cheveux n’ont l’air de rien, remarque Scott McKay, qui a étudié en assainissement des eaux. Mais ils font partie des choses qui peuvent vraiment endommager les équipements. Une fois qu’ils sont enroulés autour des pompes, ils demeurent là. Ils ne se décomposent pas. Et avec le temps, il y en a de plus en plus. »

Autre matière banale, mais tout aussi mal venue dans la cuvette : la soie dentaire. « La soie bloque des pompes, lance Yanick Fortier, de la Ville de Saint-Eustache. J’ai aussi déjà vu des pompes bloquées par des condoms ou des produits d’hygiène féminine. »

Ces matières qui ne se dégradent pas, mêlées à des graisses alimentaires, sont par ailleurs à l’origine d’un phénomène méconnu observé dans les égouts : les fatbergs. Issu d’une contraction des mots fat (« graisse ») et iceberg, ce terme désigne véritablement des montagnes de gras.

Ces monstres sévissent particulièrement dans les égouts des grandes villes, dont ceux de Londres.

C’est à cet endroit qu’a été découvert en 2017 l’un des plus gros fatbergs jamais observés : un spécimen de 130 tonnes et de 250 mètres de long. Un morceau de celui-ci a même été exposé au Museum of London.

Pour déloger ces masses pestilentielles qui se forment dans les égouts, il n’y a pas de solution miracle. Les ouvriers doivent descendre sous les rues pour les réduire en petits morceaux. Un travail long, ardu et coûteux qui pourrait être évité si les couches, lingettes et autres n’étaient pas jetées dans les cuvettes de toilette. Même chose pour le gras de cuisson, qui ne doit pas se retrouver dans le drain de l’évier.  

Gare aux médicaments et aux poissons !

Dans cet esprit, il faut également éviter d’évacuer par la toilette des médicaments, relève le président-directeur général de Réseau Environnement, Mathieu Laneuville. Le geste, souvent représenté au cinéma, du flacon de pilules vidé frénétiquement dans la toilette n’est pas sans répercussions.

« Les médicaments se retrouvent dans nos cours d’eau. Et ils peuvent être à l’origine de transformations endocriniennes chez les poissons, y compris ceux que nous mangeons, explique-t-il. À la base, le bon geste, c’est de rapporter nos médicaments à la pharmacie pour qu’ils soient éliminés de façon sécuritaire. »

Le directeur du Service des eaux de la Ville de Saint-Eustache abonde dans le même sens.

« Nous ne pouvons pas arrêter les médicaments, dit Yanick Fortier. Je n’ai aucune barrière à l’usine d’épuration. Je ne peux rien faire. L’usine n’est pas conçue pour ça. Les médicaments sont vraiment un problème. »

Même chose pour les poissons rouges. Oui, oui, les poissons rouges que l’on achète à l’animalerie.

« Prenons un exemple et poussons-le à l’extrême, fait valoir Yanick Fortier. Un poisson rouge n’est pas une espèce indigène. Disons qu’il est jeté dans une toilette lors d’un orage, et qu’il y a des surverses. L’animal pourrait continuer à vivre jusque dans un lac et s’y reproduire. Il pourrait faire comme la carpe asiatique et devenir une espèce envahissante. Est-ce que c’est une bonne idée de faire ça ? Bien sûr que non. »

Cet exemple n’est pas farfelu, puisqu’en 2021, au Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap, la Direction de la gestion de la faune de la Mauricie et du Centre-du-Québec a dû retirer 13 poissons rouges d’un cours d’eau, avait rapporté le quotidien Le Nouvelliste 3.

L’histoire ne dit pas comment ils se sont retrouvés à cet endroit. Mais il importe de savoir que les poissons rouges survivent bien aux hivers rigoureux et qu’ils peuvent atteindre une taille impres-sionnante, en plus de se multiplier à la vitesse grand V et d’être en concurrence avec les espèces indigènes. Bref, leur présence est problématique.  

Le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs recommande d’ailleurs de ne jamais relâcher un poisson rouge dans les toilettes ou dans les cours d’eau.  

« Les médicaments sont vraiment un problème. »

Même chose pour les poissons rouges. Oui, oui, les poissons rouges qu’on achète à l’animalerie.

— Yanick Fortier, directeur du Service des eaux de la Ville de Saint-Eustache

Journée nationale des toilettes

« Les lingettes, les bâtonnets ouatés (Q-tips), les tampons, les médicaments : ça ne va pas dans les toilettes, tranche Gregory Pratte, expert en ISÉ (information, sensibilisation et éducation) dans le domaine de la gestion des matières résiduelles. Il n’y a que la matière organique qui sort du corps [qui doit s’y retrouver]. Mais ce n’est pas clair pour tous. Et c’est un problème majeur. »

« Ce que les gens ne comprennent pas, c’est que ça fait augmenter leur impôt foncier, ajoute le chroniqueur et conférencier. Ça multiplie les bris [d’équipements], et il faut augmenter la capacité des usines de traitement. Et les usines ne coûtent pas 2,99 $. Si on trouve que tout nous coûte cher, une bonne façon d’économiser est peut-être de mieux gérer nos matières. »

Dans d’autres pays, dont le Mexique, le papier de toilette n’a d’ailleurs pas sa place dans la cuvette. Il doit être déposé dans une poubelle pour éviter de boucher les canalisations.

Selon les Nations Unies, « les toilettes sont la pierre angulaire de la santé publique et jouent un rôle essentiel dans la protection de l’environnement 4 ». 

 Or, en 2023, 3,5 milliards de personnes vivaient sans toilettes adaptées et 2,2 milliards sans eau potable, selon des données de l’OMS et de l’UNICEF 5.

« Le Québécois moyen tient l’eau potable pour acquise, alors qu’il y a des milliards de personnes qui n’y ont pas accès, réagit Gregory Pratte. Nous, nous y avons tellement accès que nous y lavons notre linge. Nous alimentons nos toilettes et prenons nos douches avec de l’eau potable. Il faut être riches en tabarouette pour faire ça ! »

Dans les circonstances, on comprend l’importance d’apprendre à préserver davantage la ressource. Cette dernière n’est d’ailleurs pas infinie, rappelle M. Pratte : « On le voit, les nappes phréatiques s’assèchent et la pollution s’installe ».

Il existe néanmoins des solutions pour économiser l’eau potable et pour prévenir les problèmes de blocage et de bris dans les usines de traitement d’eau.

L’utilisation du bidet, très populaire ailleurs sur la planète, notamment au Japon, en fait partie, citent en exemple Yanick Fortier et Gregory Pratte.

« Ça peut être un très bon moyen de réduire notre consommation de papier de toilette et de faciliter le travail de toute la chaîne de valorisation de l’eau », estime M. Pratte.

Le bidet, offert en différents modèles et prix, a connu un élan de popularité au Québec avec la pandémie de COVID-19.

LE SAVIEZ-VOUS ? JOURNÉE MONDIALE DES TOILETTES 19 NOVEMBRE

Campagne de sensibilisation

Pour Gregory Pratte, la mise en place d’une campagne de sensibilisation nationale sur les processus de production d’eau potable et de gestion des eaux usées s’impose.

« C’est le temps d’expliquer aux citoyens le pourquoi et le comment, et de mettre au pas les entreprises qui font des affichages erronés, mensongers, sur leurs produits, comme pour les lingettes », estime l’expert en ISÉ.

La Ville de Terrebonne n’a toutefois pas attendu qu’une initiative soit mise de l’avant à l’échelle provinciale pour lancer, en 2022, sa propre campagne de sensibilisation sur la problématique des déchets jetés dans les toilettes et les éviers.

Le slogan « Devenez la bolle des toilettes » (une référence aux « bollés », ces premiers de classe) donne d’emblée le ton : léger et humoristique. Mais l’exercice n’en est pas moins informatif. Les citoyens sont notamment invités à répondre à un court questionnaire pour tester leurs connaissances. Ils peuvent, à la clé, obtenir le certificat honorifique du « bol d’or ».

Même si la campagne vise l’ensemble des citoyens, différentes publicités numériques ont permis de cibler des groupes précis (les familles, la génération Z et les millénariaux, les aînés, etc.), précise Stéphane Champagne, conseiller en design graphique à la Ville de Terrebonne. Ce projet a été piloté par la conseillère en communication Audrey Clément-Robert.

Et l’initiative a fait mouche, se réjouit l’ingénieure Martine Lanoue. Les commentaires et les taux de réponse sont très positifs.

« Il est difficile de mesurer quantitativement l’effet que la campagne a pu avoir, dit-elle. Par contre, qualitativement, nos employés qui doivent intervenir sur l’entretien du réseau d’égout nous mentionnent qu’ils ont vu une différence. Il y a un peu moins de lingettes et de blocages dans nos postes de pompage. »

Mme Lanoue précise qu’une approche de prévention et de sensibilisation est priorisée pour le moment. Mais on n’exclut pas d’opter pour des mesures plus coercitives, au besoin. Par exemple, le Règlement 2008-47 de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) pourrait être appliqué, et une amende de 1 000 $ pourrait être imposée aux contrevenants qui jettent des lingettes dans la toilette.

« Je rêve que le Québec devienne un chef de file en sensibilisation, en information et en éducation en matière de gestion de la toilette, lance Gregory Pratte. Le Québec est propre. Nous produisons de l’énergie propre. Gérons bien notre eau. »

« C’est le temps d’expliquer aux citoyens le pourquoi et le comment, et de mettre au pas les entreprises qui font des affichages erronés, mensongers, sur leurs produits, comme pour les lingettes. »

— Gregory Pratte, expert en ISÉ (information, sensibilisation et éducation)

  1. Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs. (2000). Portrait global de la qualité des eaux au Québec. https://www.environnement.gouv.qc.ca/eau/sys-image/global/global4.htm
  • Ibid.  

Le top 5 des éléments jetés aux toilettes et qui ne devraient pas s’y retrouver

Trop souvent, la cuvette de toilette accueille différents articles du quotidien qui auraient dû prendre un autre chemin, dont ceux de la poubelle ou du recyclage. Or, leur présence dans les égouts et, au bout du compte, dans les systèmes de traitement des eaux usées peut être problématique et entraîner des bris d’équipements ou des blocages de canalisations. Voici quelques exemples de ces éléments :   

  • Les lingettes à usage unique ;   
  • Les cheveux ;   
  • Les produits d’hygiène féminine ;   
  • Les condoms ;   
  • Les médicaments.

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