En raison des élections à venir, le gouvernement fédéral voudra certainement être proactif en matière environnementale, et pas seulement dans le dossier des changements climatiques. À ce sujet, des actions concernant l’eau douce pourraient lui faire marquer quelques points, la protection de cette ressource collective faisant assurément consensus.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’annonce de la création de l’Agence canadienne de l’eau dans la lettre de mandat du ministre de l’Environnement et du Changement climatique (ECCC) de décembre 2019 et surtout dans celle de janvier 2021.
Des consultations précoces
Mettant rapidement la main à la pâte, ECCC a publié, le 17 décembre 2020, un document de consultation intitulé Vers la création d’une Agence canadienne de l’eau 1. Ont suivi un Forum national de l’eau douce ainsi que des forums provinciaux et régionaux en début d’année 2021. Ces derniers consistaient en des panels et des ateliers de discussion réunissant divers intervenants du milieu de l’eau douce au Canada.
Bien peu d’orientations ont été exprimées par ECCC tant dans le cadre du document de consultation que dans les forums, mis à part la volonté d’harmoniser et de coordonner l’action gouvernementale fédérale en matière d’eau douce. Ainsi, ECCC n’a pas consulté les parties prenantes sur des orientations établies, mais leur a plutôt demandé de nommer elles-mêmes les besoins auxquels pourrait répondre l’Agence canadienne de l’eau.
C’est donc dire que le processus de consultation en est à ses balbutiements.
Dans ce contexte, les interventions lors des forums sur l’eau douce ont porté sur une multitude d’enjeux. Parmi ceux-ci, les quatre thèmes suivants ont semblé émerger : la réglementation, la coordination gouvernementale, les questions liées à la science de l’eau et la gouvernance autochtone de l’eau.
La pertinence de la création de l’Agence canadienne de l’eau
D’entrée de jeu, le ministre Wilkinson et les intervenants d’ECCC ont précisé que la création de l’Agence canadienne de l’eau ne serait pas accompagnée de changements législatifs ou réglementaires substantiels dans l’immédiat.
Des intervenants ont tout de même proposé, lors des forums, que l’Agence canadienne de l’eau joue un rôle de coordination et d’harmonisation des normes provinciales et fédérales relatives à l’eau douce. Il est toutefois difficile de voir ce que pourrait ajouter l’Agence canadienne de l’eau par rapport à ce que peut faire le Conseil canadien des ministres de l’environnement en la matière.
Il a également été proposé que l’Agence canadienne de l’eau coordonne l’action des différents ministères et organismes fédéraux chargés d’appliquer la réglementation relative à l’eau douce ou qui exercent autrement des responsabilités en matière de protection de l’eau douce. Cette proposition est intéressante, dans la mesure où elle permettrait d’alléger le fardeau administratif des entreprises qui interagissent sur une base régulière avec le gouvernement fédéral, notamment pour obtenir des autorisations diverses pour des activités ayant des impacts sur l’eau.
Il existe cependant un risque que la nouvelle Agence canadienne de l’eau ajoute une couche de complexité pour les entreprises, au lieu de simplifier leurs interactions avec le gouvernement fédéral. En l’absence de détails concernant la manière dont l’Agence canadienne de l’eau pourrait améliorer la situation, il est difficile d’évaluer la pertinence de revoir les structures administratives existantes.
Par ailleurs, plusieurs intervenants issus du milieu scientifique et universitaire ont soulevé le manque de coordination dans la recherche et dans la gestion des données sur l’eau. Toutefois, attribuer à un organisme gouvernemental le pouvoir de dicter les priorités scientifiques semble contraire au principe de la liberté universitaire. Il apparaît plus simple et plus approprié de bonifier le financement de la recherche afin que le milieu universitaire ait les moyens de se coordonner lui-même. Nul besoin de créer une nouvelle structure gouvernementale pour ce faire.
À juste titre, l’amélioration de la participation autochtone à la gouvernance de l’eau a aussi été soulevée lors des forums sur l’eau douce. À ce sujet, rappelons que les modifications récentes à la Loi sur les pêches, à la Loi sur les eaux navigables canadiennes, à la Loi sur l’évaluation d’impact et à la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie ont sensiblement bonifié la participation autochtone à la prise de décision en matière environnementale.
Bien que des améliorations à ces lois demeurent possibles, ne serait-il pas plus avisé d’attendre de voir si les réformes récentes portent leurs fruits avant d’envisager la création de nouveaux mécanismes de participation ?
Commencer par le début
ECCC semble agir précipitamment en proposant la création de l’Agence canadienne de l’eau sans avoir au préalable défini de réels besoins à combler. En effet, ni la réglementation, ni la coordination gouvernementale, ni la recherche scientifique, ni la participation autochtone ne semblent justifier la création d’une nouvelle structure administrative.
Pourtant, ce ne sont pas les besoins qui manquent en ce qui concerne l’eau douce. En plus de ceux évoqués, on n’a qu’à penser à la modernisation des stations de traitement des eaux usées municipales, au manque de main-d’œuvre qualifiée dans le domaine de l’environnement ou, plus important encore, à l’accès à l’eau potable dans les communautés autochtones.
Or, ces questions ne nécessitent pas de revoir l’infrastructure de l’État fédéral. Des interventions ciblées en matière de protection de l’eau douce, quoique moins susceptibles d’attirer l’attention du public dans un contexte électoral, permettraient mieux de protéger notre plus précieuse ressource collective que la création d’une nouvelle structure administrative.
- Environnement et Changement climatique Canada. (2020). Vers la création d’une Agence canadienne de l’eau. https://www.placespeak.com/uploads/6321/Agence_canadienne_de_l%27eau_Document_de_discussion.pdf