Le nouveau Plan national de l’eau (PNE) du gouvernement du Québec est ambitieux. Son objectif : protéger, moderniser, restaurer, soutenir, améliorer et optimiser les ressources en eau. Un défi de taille, surtout en contexte de changements climatiques. Mais, pour le PNE, on estime avoir les moyens de nos ambitions.
« Le travail d’équipe réalisé pour élaborer le PNE est l’une des pierres angulaires de cet imposant chantier, » soutient Caroline Robert, directrice générale à la Direction générale des politiques de l’eau au ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP).
Dévoilé à l’automne 2024, le Plan national de l’eau : une richesse collective à préserver est accompagné, pour son déploiement, d’un budget de 500 millions de dollars, provenant en partie du nouveau Fonds bleu. Près de 40 priorités d’action et 7 orientations principales ont été établies.
« Le plan a été développé grâce, notamment, à la contribution du Forum d’action sur l’eau, explique Mme Robert. Ce forum est un comité de travail qui réunit une vingtaine de représentants des milieux municipal, agricole, industriel, scientifique, gouvernemental et de la société civile. »
« Il y a une bonne représentativité des acteurs à l’œuvre sur le terrain pour faire face aux enjeux liés à la protection des ressources en eau, précise-t-elle. Ils nous ont alimentés dans les réflexions, les priorités et les moyens d’action. »
Bref, dit la directrice générale, ce nouveau plan d’action, le deuxième de la Stratégie québécoise de l’eau 2018-2030, est le fruit d’un travail de « co-construction ». Trois ministères – Agriculture, Pêcheries et Alimentation ; Ressources naturelles et Forêts ; Affaires municipales et Habitation – y ont également contribué.
« Cet aspect, de travailler main dans la main pour faire quelque chose de structurant pour le Québec, c’est vraiment bien, réagit Mathieu Laneuville, président-directeur général de Réseau Environnement, l’un des organismes membres du Forum. On le dit souvent : « Seul, on va vite, et ensemble, on va plus loin ». Je pense que c’en est un bon exemple. »
Selon lui, le gouvernement a par ailleurs fait preuve d’écoute dans le cadre de l’élaboration du PNE. Par exemple, plusieurs recommandations formulées sur la gestion de l’eau dans le rapport Assainissement 2.0., préparé par le regroupement de spécialistes en environnement qu’il préside, ont été retenues.
« On s’entend, les défis sont grands pour la gestion des eaux usées, souligne-t-il. Et le Ministère a donné suite à la vaste majorité des recommandations. »
Changements climatiques
Selon Caroline Robert, les attentes sont élevées à l’endroit du PNE. « On peut avoir l’impression que 500 millions de dollars [le budget alloué au Plan], c’est énorme, dit-elle. Mais les besoins sont grands. Un travail a été fait pour trouver un équilibre à travers toutes les priorités. »
À cet effet, la diversité des expertises réunies au Forum d’action sur l’eau a permis de concilier les besoins, estime Mme Robert. « On a voulu se donner des priorités d’action, les structurer et se donner des cibles pour mesurer les résultats sur le terrain », dit-elle.
Une part importante est notamment accordée à l’acquisition de connaissances, en collaboration avec divers partenaires, surtout dans un contexte de changements climatiques accélérés. Plusieurs projets de recherche seront réalisés, dont certains sont présentés plus loin, pour approfondir les données sur la disponibilité en eau et l’analyse de la vulnérabilité des sources d’eau potable.
Plus largement, certaines mesures du Plan visent à améliorer les pratiques agroenvironnementales sur les terres cultivées en zone littoral, à soutenir la mise en œuvre des plans régionaux des milieux humides et hydriques ou encore à réduire les risques de sinistres liés aux inondations.
Tout ce travail est essentiel, et les actions doivent suivre, confirme Pierre Baril. Celui qui a occupé tour à tour les fonctions de sous-ministre adjoint aux politiques au ministère de l’Environnement, de directeur général du consortium Ouranos et de président du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) pose un regard éclairé sur la situation.
« J’ai l’impression que nos capacités d’adaptation ne suffisent plus à suivre la progression des changements climatiques, qui avance plus vite que ce que nous avions anticipé, dit celui qui agit actuellement à titre de commissaire et de coprésident de la Commission mixte internationale, chargée de veiller sur les eaux limitrophes entre le Canada et les États-Unis. On est à l’aube de conflits d’usages importants. »
« Ça a déjà commencé dans certaines villes de la couronne nord de Montréal et de la plaine du Saint-Laurent, ajoute-t-il. L’été, elles commencent à manquer d’eau. Les étiages sont plus graves. Il faut nettement accélérer l’adaptation à ce phénomène. »
« On a voulu se donner des priorités d’action, les structurer et se donner des cibles pour mesurer les résultats sur le terrain. »
— Caroline Robert, directrice générale à la Direction générale des politiques de l’eau au MELCCFP
Défis
Pierre Baril était d’ailleurs aux premières loges, à titre de sous-ministre, lorsque les premières politiques de l’eau ont été mises en place au Québec à la fin des années 1990 et au début des années 2000. « Un travail de longue haleine, qui a permis des avancées certaines, »
dit-il. Mais il reste encore beaucoup à faire pour protéger l’or bleu. Les Québécois figurent parmi les plus grands consommateurs d’eau potable, avec 253 litres par personne par jour en 2022, rappelle-t-il. À titre de comparaison, la consommation quotidienne moyenne par personne est de 184 litres en Ontario et de 220 litres dans l’ensemble du Canada. Tout le monde doit participer aux efforts.
À cet effet, le gouvernement du Québec a lancé, l’an dernier, la campagne de sensibilisation Pensez Bleu, qui a fait l’objet d’un reportage dans la récente édition printanière de Source. Financée par le Fonds bleu, lequel est alimenté en partie par la redevance sur l’utilisation de l’eau, et propulsée par Réseau Environnement, la campagne doit se déployer jusqu’en 2026. Elle vise à éduquer les citoyens aux conséquences de leurs gestes sur la disponibilité et la qualité de l’eau.
De façon complémentaire, le PNE prévoit différentes actions pour mieux protéger les ressources en eau. Les experts de Réseau Environnement sont entre autres mis à contribution pour analyser et encadrer plus efficacement le problème des contaminants nocifs non normés, dont les « fameux PFAS », illustre Mathieu Laneuville.
Dans ce contexte, et pour optimiser les retombées du PNE, des investissements seront inévitables pour remettre à niveau les infrastructures d’eaux usées, dit-il. « C’est essentiel de rappeler qu’il y a un important déficit de maintien d’actifs, soit 19,3 milliards de dollars, soutient M. Laneuville. On a des infrastructures qui ont grandement besoin d’amour et d’investissements. »
« On n’a pas ce genre de moyens avec les 500 millions de dollars du PNE, fait valoir Caroline Robert. Mais, avec le Plan, on concrétise toutes sortes d’initiatives qui ne sont pas couvertes par les programmes d’infrastructures, lesquels financent surtout la conception des plans et la réalisation des travaux sur le terrain. En d’autres mots, dit-elle, le Plan national de l’eau agit de manière complémentaire aux différents programmes d’infrastructures. »
Autre exemple de complémentarité : le PNE ne résoudra pas les problèmes d’approvisionnement en eau potable qui touchent certains villages du Nunavik. Néanmoins, il pourrait contribuer à l’identification de solutions, estime Mme Robert. Un budget de 30 millions de dollars est alloué aux Premières Nations et Inuit pour réaliser des projets répondant aux enjeux prioritaires qu’ils identifieront.
Travail à poursuivre
Caroline Robert souligne que le nouveau PNE s’inscrit dans la continuité du précédent, qui a permis la mise en place de plusieurs mécanismes, notamment pour mieux encadrer les rejets d’eaux usées des municipalités.
« Un cadre réglementaire a été instauré et de nouveaux outils ont été déployés, précise-t-elle. On a maintenant, par exemple, un mécanisme d’attestation d’assainissement qui permet de cibler les améliorations que chacune des municipalités doit apporter pour le traitement de ses eaux usées. »
Si la partie n’est pas gagnée en matière de gestion et de protection des ressources en eau, les choses évoluent, estime l’ex-sous-ministre de l’Environnement, Pierre Baril. Selon lui, la responsabilisation des acteurs de l’eau s’est accrue, et la concertation est plus que jamais au cœur des actions.
« Dans une administration publique, on a tendance à travailler en silo, dit M. Baril. Mais cette fois, on a une stratégie qui nous oblige à nous coordonner, parce que l’eau relève de plusieurs ministères. Et ça, c’est très bien : au lieu de s’obstiner et de dédoubler les actions, on travaille ensemble. »
Le Québec compte des dizaines de milliers de rivières et plus de trois millions de plans d’eau. Une abondance trompeuse puisque cette ressource n’est pas pour autant inépuisable. Au contraire, elle est plus menacée que jamais. Le PNE vise justement à mieux outiller le Québec pour faire face à ces enjeux.
« Dans une administration publique, on a tendance à travailler en silo. Mais cette fois, on a une stratégie qui nous oblige à nous coordonner, parce que l’eau relève de plusieurs ministères. Et ça, c’est très bien : au lieu de s’obstiner et de dédoubler les actions, on travaille ensemble. »
— Pierre Baril, commissaire et de coprésident de la Commission mixte internationale
Voici quelques-unes des mesures phares du Plan national de l’eau qui permettront de répondre à différents enjeux.
Mieux connaître les eaux souterraines
Depuis 2008, les connaissances sur la disponibilité et la vulnérabilité des eaux souterraines dans différentes régions du Québec ont progressé. Ce travail est appelé à se poursuivre dans le cadre du Plan national de l’eau (PNE). Trois nouveaux secteurs font l’objet de projets d’acquisition de connaissances sur les eaux souterraines (PACES).
Les données recueillies du côté de la Communauté métropolitaine de Montréal, de la Gaspésie-Matapédia et de Chisasibi enrichiront le portrait hydrogéologique de la province. Un travail qui vise, ultimement, à protéger les sources d’eau potable et à assurer une saine gestion de la ressource.
Ce type d’exercice a déjà été mené dans les autres régions du Québec méridional, et notamment aux Îles-de-la-Madeleine, rappelle Édith Bourque, ingénieure en hydrogéologie au ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP). « Il y avait une crainte particulière aux Îles, parce que c’est très touristique l’été », explique-t-elle.
Les données recueillies sur place ont permis de déterminer quelle quantité d’eau souterraine peut être exploitée, et à quels puits, pour éviter d’éventuels problèmes. Contrairement à d’autres localités québécoises, les Îles-de-la-Madeleine n’ont que l’eau souterraine pour unique source d’eau potable.
À l’inverse, l’eau potable de la Communauté métropolitaine de Montréal provient surtout du fleuve Saint-Laurent. Certaines données y ont déjà été colligées, mais elles seront mises à jour dans le cadre des nouveaux PACES, explique Nadine Roy, également ingénieure en hydrogéologie au MELCCFP.
Le Réseau québécois sur les eaux souterraines veille par ailleurs à ce qu’un transfert des connaissances issues des données des PACES soit effectué vers les intervenants des municipalités, des organismes de bassins versants et autres acteurs de la filière eau.
Sus à la contamination par les eaux usées
Les municipalités disposent d’un tout nouvel outil pour favoriser la mise aux normes des installations d’eaux usées des résidences isolées : le Programme d’unités individuelles de traitement de l’eau (PUIT), lancé par le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH).
« C’est la première intervention du ministère pour des infrastructures qui ne sont pas municipales, donc directement chez les citoyens », souligne Catherine Verge-Ostiguy, directrice des infrastructures aux collectivités au MAMH.
Le PUIT vise à réduire la contamination de différentes sources d’eau potable à la fois de lacs, de rivières et d’eaux souterraines, souligne la cheffe d’équipe et responsable du programme, Anne-Lise Tremblay. « À la fois de lacs, de rivières et d’eaux souterraine », précise-t-elle.
Grâce au PUIT, les administrations municipales peuvent profiter d’une aide financière pour la réalisation de travaux de mise aux normes. Un premier appel de projets est d’ailleurs en cours. Les organismes municipaux ont jusqu’au 4 septembre 2025 pour déposer une demande dans l’un des deux volets prévus.
Annoncé avec un budget global de 80 millions de dollars, le programme suscite déjà un vif intérêt. « Les municipalités demandaient un programme d’aide depuis longtemps », note Mme Verge-Ostiguy.
Pour s’assurer de la disponibilité de l’eau
Quelle sera la disponibilité de l’eau dans un climat appelé à changer ? Le MELCCFP collabore avec le Consortium Ouranos et des chercheurs universitaires, dans le cadre du projet QClim’Eau. L’objectif : documenter cet enjeu afin de concevoir de nouveaux outils pour adapter la gestion de l’eau et de l’aménagement du territoire aux réalités climatiques futures.
« Il y a déjà des endroits, des bassins versants, où on observe des enjeux de disponibilité, quand on compare les débits en rivière aux prélèvements effectués », Mme Roy.
Selon elle, le projet QClim’Eau et les autres mandats confiés à différentes universités permettront notamment de raffiner les indicateurs de disponibilité, y compris ceux liés aux eaux souterraines. Ces données sont précieuses, tant pour le ministère, lors de l’analyse des demandes d’autorisation de prélèvement d’eau, que pour les usagers, qui doivent planifier leur approvisionnement en eau dont les municipalités, les industries, la population et les producteurs agricoles, dit-elle.
« L’aménagement du territoire doit être cohérent avec la disponibilité des ressources en eau. Il s’agit par ailleurs d’une exigence des nouvelles orientations gouvernementales en aménagement du territoire, en vigueur depuis le 1er décembre dernier », fait valoir Mme Roy.
Pour une réduction de LA consommation d’eau des papetières
Figurant parmi les dix plus grands consommateurs d’eau au Québec, les papetières peuvent depuis peu profiter d’une aide financière du gouvernement pour adopter des moyens visant à réduire le volume d’eau utilisé dans leurs procédés industriels.
Lancé en mai 2025 par le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF), le Programme de réduction d’eau des papetières, une mesure inscrite dans le Plan national de l’eau, jouit d’un budget de 15 millions de dollars et s’échelonnera sur 3 ans.
L’aide peut se déployer en deux volets : réalisation d’études et mise en œuvre de projets d’investissement, tels que l’implantation de procédés ou de technologies et la mise en place de projets pilotes en usine. Le programme couvre 50 % des dépenses admissibles, jusqu’à concurrence de 100 000 $ pour le premier volet et d’un million de dollars pour le deuxième.
« Pour être admissibles, les projets doivent présenter un potentiel de réduction d’au moins 5 % de la consommation d’eau », souligne Maxime Arseneault, conseiller en développement industriel au MRNF.
« Ce pourcentage peut sembler faible, mais il représente quand même plusieurs millions de gallons par année, précise André Auger, spécialiste sectoriel pour les pâtes, papiers et dérivés au MRNF. Des gestes sont déjà posés par les papetières. Ça permet de continuer les efforts, d’aller plus loin. »
Ce programme s’inscrit dans la foulée de la hausse du taux de la redevance versée par les papetières pour l’utilisation de l’eau, souligne M. Auger. Le soutien financier offert vise à préserver leur compétitivité.
Les projets soumis seront analysés par un comité dès leur réception, selon les critères établis, laisse savoir Maxime Arseneault.
Principales orientations du Plan national de l’eau
- Assurer une eau de qualité à la population 161,7 M$
- Protéger et restaurer les milieux aquatiques 64,7 M$
- Prévenir et gérer les risques liés à l’eau 52,3 M$
- Miser sur le potentiel économique de l’eau 21,2 M$
- Promouvoir une utilisation durable de l’eau 54,7 M$
- Acquérir et partager les meilleures pratiques 57,9 M$
- Assurer et renforcer la gestion intégrée des ressources en eau 37,3 M$
- Ensemble d’actions à l’intention des Premières Nations et Inuit 30 M$
Le Plan national de l’eau : une richesse collective à préserver est accompagné, pour son déploiement, d’un budget de 500 millions de dollars, provenant en partie du nouveau Fonds bleu.