CERIUInfrastructures en eau : un appel à la planification à long terme

Infrastructures en eau : un appel à la planification à long terme

Par Marc Didier Joseph

Les infrastructures en eau représentent l’un des piliers essentiels du service public dans nos municipalités. Or, le plus récent bilan réalisé par le Centre d’expertise et de recherche en infrastructures urbaines (CERIU) 1 met en évidence l’ampleur des travaux nécessaires pour maintenir ces réseaux en bon état. Entre vieillissement accéléré, pressions liées à l’urbanisation et effets des changements climatiques, la question de leur pérennité devient urgente et appelle une approche proactive.

Un imposant actif à préserver

Le Québec compte plus de 101 060 km de conduites souterraines destinées à l’eau potable, aux eaux usées et aux eaux pluviales. À elles seules, les conduites d’eau potable représentent 57,7 milliards de dollars répartis sur 44 559 km, et celles destinées aux eaux usées totalisent 61 milliards pour 36 746 km. Le bilan du CERIU met en exergue l’existence de milliers d’ouvrages, tant pour l’eau potable (4 500 ouvrages) que pour les eaux usées et pluviales (5 982 ouvrages). Ces chiffres témoignent non seulement de l’envergure du réseau, mais aussi des investissements colossaux qui ont été consentis historiquement et qui doivent désormais être préservés pour les décennies à venir.

Le constat technique nous interpelle : avec un âge moyen de 42 ans, représentant 46 % de la durée de vie moyenne estimée à 92 ans, la majorité des infrastructures en eau se trouve dans une phase où l’entretien et le renouvellement s’avèrent indispensables. Le bilan révèle que la valeur totale de remplacement des infrastructures en eau atteint des montants impressionnants, soit près de 188,5 milliards de dollars en 2024. Le remplacement immédiat de l’ensemble des installations à risque élevé ou très élevé de défaillance demanderait un investissement de l’ordre de 19,3 milliards de dollars. Ces dernières, qui concernent en grande partie les conduites souterraines, nécessiteront une attention particulière de la part des gestionnaires municipaux.

Ces investissements massifs doivent être planifiés, ce qui implique la prise en compte de plusieurs paramètres : la disponibilité des ressources, la répartition géographique des actifs ainsi que la synchronisation nécessaire entre les différents intervenants, et ce, du niveau municipal aux instances provinciales. Le bilan 2024 nous rappelle que le temps presse et que seule une approche coordonnée, transparente et préventive permettra de garantir la capacité des municipalités de maintenir un service de qualité, aujourd’hui et pour les générations futures.

Pourquoi une planification à long terme ?

Face à cet enjeu d’un réseau de plus en plus vétuste, mais aussi sollicité par l’urbanisation et les phénomènes climatiques extrêmes, il apparaît plus que jamais urgent de se positionner sur une voie proactive. L’entretien préventif, la priorisation des investissements en maintien d’actifs et le financement durable sont autant de leviers pour assurer la pérennité du service de l’eau. La mise en place d’un plan de gestion des actifs (PGA) s’impose donc comme un outil stratégique indispensable. Le guide du CERIU sur l’élaboration d’un plan de gestion d’actifs municipaux 2 montre que le PGA n’est pas simplement une formalité administrative ; il constitue la pierre angulaire d’une démarche de gestion proactive, intégrée et fondée sur des données fiables. L’adoption d’un tel plan représente non seulement une réponse adaptée aux défis actuels, mais aussi un engagement pour une planification durable du maintien et du développement des infrastructures en eau pour satisfaire les besoins d’une population en constante évolution.

Compte tenu de l’ampleur des investissements requis, qu’il s’agisse de remplacer des infrastructures jugées en mauvais ou en très mauvais état ou de pallier des enjeux de performance, le PGA fournit un cadre méthodologique qui aide la municipalité à planifier et à budgétiser ses interventions de façon réaliste. Par exemple, en déterminant des coûts prévisionnels par phase du cycle de vie (acquisition, exploitation, entretien, renouvellement, disposition), la municipalité est en mesure de comparer ces dépenses aux budgets actuels et planifiés et, ainsi, de déceler rapidement les éventuels écarts. Ce constat permet de mieux communiquer ces enjeux aux décideurs et aux citoyens, d’ajuster la stratégie d’investissement ou de prioriser certaines interventions.

Au-delà des impératifs financiers et techniques, le PGA s’inscrit dans une vision plus large de durabilité et d’efficience. En traitant l’entretien et le renouvellement de manière systématique et en intégrant les variables du contexte (changements démographiques, évolutions technologiques, aléas climatiques), il permet d’éviter une dégradation accélérée des infrastructures, qui entraînerait des répercussions directes tant sur la qualité de service que sur la sécurité publique. Dans ce sens, la démarche promue par le guide du CERIU est un levier pour transformer une contrainte – celle d’un patrimoine vieillissant – en une occasion de modernisation et d’optimisation des investissements publics.

L’avenir des infrastructures en eau du Québec repose sur la capacité des municipalités à anticiper les défaillances et à investir intelligemment dans l’entretien et le renouvellement de leur réseau. En adoptant des plans de gestion d’actifs, elles se donnent les moyens de transformer un constat préoccupant en une avenue de modernisation durable et sécurisée.

Vers une gestion collaborative des infrastructures

Au-delà des chiffres et des outils, la gestion des infrastructures en eau relève d’un engagement collectif qui doit impliquer l’ensemble des acteurs concernés : administrations municipales, instances provinciales, organismes de financement et citoyens. La publication vulgarisée de plans de gestion d’actifs en eau ou, à plus haut niveau, d’un portrait des infrastructures municipales en eau, contribue à sensibiliser l’opinion publique à l’urgence des investissements préventifs. Cela permet également d’instaurer un dialogue entre les décideurs et les experts techniques pour définir des stratégies adaptées aux réalités locales.

  1. Centre d’expertise et de recherche en infrastructures urbaines (CERIU) (2024). Bilan 2024 du Portrait des infrastructures en eau des municipalités du Québec (PIEMQ). https://ceriu.qc.ca/bibliotheque/bilan-2024-du-portrait-infrastructures-eau-municipalites-du-quebec-piemq
  2. Centre d’expertise et de recherche en infrastructures urbaines (CERIU) (2024). Guide d’élaboration d’un plan de gestion d’actifs municipaux. https://ceriu.qc.ca/bibliotheque/guide-elaboration-plan-gestion-actifs-municipaux

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