ÉditosEau : les effets pervers de l’abondance  

Eau : les effets pervers de l’abondance  

Par André Dumouchel

Aqueducs en mauvais ou en très mauvais état qui requièrent des investissements. Consommation excessive de l’eau par individu. Usines de traitement des eaux usées qui ont besoin de nouvelles technologies pour éliminer plusieurs nouveaux contaminants nuisibles à la santé de nos lacs et de nos rivières. Le tout, sur fond de changements climatiques, avec des épisodes de temps chaud et sec qui réduisent le niveau de nos cours d’eau. Si la ressource est abondante au Québec, il m’apparaît clair que nous nous sommes habitués à ce privilège et que nous l’utilisons comme s’il n’y avait pas de lendemain.

C’est ce qui me frappe en lisant le reportage de notre plus récente édition, « Tenons-nous l’eau pour acquise ? ». Comme souvent, l’humain commence à réaliser la valeur de ce qu’il a une fois qu’il est en train de le perdre. Au Québec, nous sommes habitués à ouvrir le robinet et à y voir l’eau couler. On ne peut imaginer qu’il en soit autrement.

Or, la réalité est bien différente dans plusieurs autres endroits du monde. Pour être personnellement actif dans le domaine de la restauration au Mexique, j’ai vu des périodes où quatre ou cinq jours pouvaient s’écouler sans qu’une goutte d’eau sorte du robinet. Et je ne parle même pas d’eau potable. Au Mexique, la population doit acheter de l’eau embouteillée pour étancher sa soif. Non, je parle d’une eau impropre à la consommation, qu’on utilise pour laver la vaisselle, pour tirer la chasse d’eau et pour prendre sa douche. Si l’eau ne coule plus du robinet, il faut courir derrière  le camion-citerne dans la rue, pesos en main, pour convaincre le chauffeur de venir remplir notre réservoir d’eau personnel plutôt que celui du voisin. Cette situation, elle se vit au Mexique, un pays à l’économie émergente.

Si la population du Québec peut difficilement imaginer vivre une telle réalité, certaines municipalités commencent néanmoins à être confrontées à des épisodes de canicules estivales où l’eau se fait rare. Des incidents qui risquent de se produire de plus en plus souvent en raison des changements climatiques. Personnellement, j’appréhende particulièrement l’été qui est à nos portes, alors que la neige, peu abondante l’hiver dernier, n’est pas venue regorger d’eau les lacs et les rivières du Québec.

En même temps, être confrontés à cette rareté nous servira peut-être de moteur pour passer à l’action. Ressource essentielle à la vie, l’eau n’est pas inépuisable, et son processus pour la rendre potable a un coût.

Le reportage du dernier numéro du magazine Source, publié à l’hiver dernier, « La toilette n’est pas une poubelle ! », me revient aussi en tête. Je pense plus spécifiquement à la citation de Gregory Pratte, expert en information, sensibilisation et éducation dans le domaine de l’environnement. À propos de l’eau potable, il soulignait : « Nous y avons tellement accès que nous y lavons notre linge. Nous alimentons nos toilettes et prenons nos douches avec de l’eau potable. Il faut être riches en tabarouette pour faire ça ! ».

Aussi, laisser les infrastructures se détériorer pourrait nous mener tout droit vers la catastrophe. Sommes-nous prêts, collectivement, à prendre le risque de nous retrouver avec un Walkerton québécois ? C’était il y a 24 ans : le réseau d’aqueduc de cette ville ontarienne avait été contaminé par la bactérie E. coli, une situation qui a coûté la vie à sept personnes, en plus d’en rendre 2 300 malades. Plus on laisse les infrastructures se dégrader, plus on joue avec le feu. Il ne s’agit plus juste d’une question d’environnement, c’est désormais un enjeu de santé publique.

D’ailleurs, comme vous le lirez à la page 14 de cette parution, Réseau Environnement, en collaboration avec le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, sera en tournée régionale de sensibilisation aux modes de financement des services d’eau à l’intention des élus municipaux ce printemps. Il y sera notamment question de tarification volumétrique, de taxe foncière générale, de taxe spéciale, etc. Il m’apparaît très important que les élus des différentes municipalités y assistent en grand nombre, qu’ils soient adeptes de la calculatrice ou non.

S’il faut trouver des façons de financer les travaux d’infrastructure en eau, il faudra aussi probablement revoir certaines de nos façons de vivre à long terme. A-t-on vraiment besoin de faire nos besoins dans de l’eau potable ? Il faudra prendre des décisions qui font mal économiquement, mais qui sont essentielles. Parce que si le Canada a la chance de détenir 20 % des ressources en eau douce de la Terre, il a aussi la responsabilité d’en prendre soin. Notre pays doit être assez grand pour ça.

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